Lauren Huret

L’oeuvre : Praying for my Haters

Pour gérer le flux d’images et de contenus qui se déversent sans cesse sur leurs plateformes, les réseaux sociaux font appel à des entreprises de sous-traitance qui emploient des milliers de personnes dont la profession – modérateur – consiste à trier et censurer ces contenus. Exposés à des milliers d’images chaque jour, soumis à des conditions de travail difficiles, les modérateurs de contenu n’ont accès qu’à peu de soutien psychologique et sont tenus au silence par des contrats de confidentialité.

Partie faire des recherches à Manille, aux Philippines, dans le but de rencontrer des modérateurs, Lauren Huret interroge – à travers la figure de l’« image maudite » – les conséquences psychiques et physiques de ce travail, ainsi que ses effets à long terme pour nos sociétés.

L’œuvre prend la forme de deux pièces : une vidéo et une sculpture architecturale. La sculpture consiste en une représentation d’un quartier de Quezon City, ville située au nord-est de Manille. Faisant écho à l’opacité du travail qui se déroule à l’intérieur de ces tours de verre, la maquette dissimule un corpus d’images étirées, déformées et baroques. Les visiteurs de l’exposition peuvent y pénétrer en se glissant au milieu du bâtiment central circulaire, d’où ils aperçoivent, camouflés dans les entrailles de la structure, des serveurs informatiques. Cette reconstruction fantasmée, squelette d’une architecture à l’accès hermétique, se présente comme une analogie de l’interface des médias sociaux.

La vidéo s’ouvre sur un univers surréel, fantasmé, hanté : le panorama de la ville de Manille se transforme en scénario dantesque. L’effet de résilience produit par les images est évoqué à travers une bande son mixant « tubes karaoke », bruits et chuchotements de la ville. Le texte est un parti pris subjectif sur l’image maudite et tente d’interroger la notion de partage libre de contenus à l’heure d’une économie mondiale néocoloniale, qui impacte la vie de milliers de personnes.

Praying For My Haters nous parle des traces que laisse dans son sillage un Web du tabou et de l’interdit, de la violence et de la mort – des traces dont la prégnance promet de durer bien après son éventuelle disparition.

L’artiste

Lauren Huret (née en 1984 à Paris, FR, vit à Genève) est artiste, vidéaste, performeuse et chercheuse. Elle s’installe à Genève pour faire le Master WORK.MASTER en arts visuels (2013) à la HEAD, Haute école d’art et de design. Son travail visuel, composé principalement de vidéos, de performances et de collages, creuse nos rapports ambigus et confus face à la machine, plus particulièrement ceux liés aux nouvelles technologies et aux nombreuses inconnues qui en résultent. Elle vient de terminer deux expositions personnelles, une en France au Centre Culturel Suisse de Paris et une à Bâle à la Haus der Elektronischen Künste depuis février 2019. Lauren est actuellement en résidence à New York jusqu’en juin 2019, bénéficiant de la résidence du canton de Genève à NY. Elle prépare une exposition personnelle à la galerie Roerhs & Boetsch à Zurich pour Octobre 2019.

http://www.laurenhuret.com/

Photos ©margotmontigny